DOUGLASTOWN
Un rameau de la verte Érin en Gaspésie |
Sous le régime français, il faut remonter aux années 1630-1640 pour y déceler les premiers gestes de propriétaires sur la péninsule gaspésienne. C'est en 1632, en effet, que Nicholas Denys se voit confier tout le littoral du Saint-Laurent, du détroit de Canso au Cap-des-Rosiers. Ensuite, de 1636 à 1738, 17 seigneuries seulement ont été concédées sur le littoral de la péninsule, et, de ce nombre, plusieurs n'ont jamais été occupées. Le manque de capitaux, les guerres presque continuelles restreignaient les initiatives. Malgré ces sérieux inconvénients, la richesse en poisson des eaux littorales a favorisé la création de quelques postes de pêche: Matane, Mont-Louis, La Madeleine, Grande-Vallée, Percé, Grande-Rivière et Grand Pabos. À ces quelques postes
prometteurs s'ajoutent, en 1755, quelques centaines d'Acadiens qui font
leur apparition sur les rives de la baie des Chaleurs, surtout du côté
de Carleton et de Bonaventure. En 1765, il y a en Gaspésie environ 700
Français et 800 Micmacs. Dans les postes de Carleton et de Bonaventure,
la population s'élève à environ 200 âmes; sur la côte nord de la péninsule,
il n'y a pratiquement plus personne. Le gouvernement anglais se proposait d'établir une petite principauté britannique dans ce coin reculé de province. Un groupe d'Anglais perdus sur le sol de Québec avaient demandé à la mère-patrie de leur trouver un coin paisible où ils pourraient vivre à l'aise, sans trop d'embarras ni d'ennuis de voisinage. Quelques-uns choisirent les riches prairies de l'Ontario et des Cantons de l'Est, à proximité de la frontière; d'autres s'en allèrent demander l'hospitalité aux rives salubres et enchanteresses de la baie des Chaleurs et de la péninsule gaspésienne. Pour favoriser et aider le nouveau groupe de colons, on créa le poste de Lieutenant-Gouverneur de la Gaspésie. Nous sommes à l'époque du gouverneur Haldimand, au lendemain de l'invasion du Canada par les troupes américaines. Le gouvernement ne pouvait refuser aux nouveaux sujets la récompense de leur loyauté. Le lieutenant-gouverneur portait, en outre, le titre officiel d'Inspecteur ou de Surintendant du commerce et des pêcheries, et sa juridiction s'étendait aux deux rives de la baie des Chaleurs. Le premier titulaire au poste de lieutenant-gouverneur fut le major Nicholas Cox, soldat de l'armée de Wolfe. La tâche de cet homme sera relativement facile. Il se transportera d'un endroit à l'autre suivant les besoins des Loyaux ou mieux selon les caprices d'une santé chancelante. Douglastown semble cependant avoir eu ses préférences. Il s'y bâtit une résidence où il passait une grande partie de l'année.
L'arpenteur écossais, en dépit de l'aide fournie, se ruina financièrement dans cette spéculation et la plupart des premières familles qui se fixèrent dans le township émigrèrent ailleurs. Elles traversèrent la petite baie et s'installèrent surtout du côté de Sandy Beach et un petit groupe, sous l'impulsion du gouverneur Haldimand, fonda la localité protestante de Haldimand, juste en face de Douglastown. En 1775, une trentaine de ;familles originaires des îles anglo-normandes (Jersey et Guernesey) se 'fixèrent en Gaspésie. En 1780, les United Empire Loyalists, en provenance de Boston et de la Nouvelle-Angleterre, font leur apparition dans notre coin de terre. Le -Capitaine Sherwood, ami du gouverneur de l'époque, est chargé de faciliter leur installation. Dès 1784.deux cents familles loyalistes sont établies, réparties en quatre groupements: New Richmond, New Carlisle, Gaspé et Douglastown. A partir de cette époque et, pour une durée de vingt-cinq ans environ, les éléments anglo-saxons vont constituer la majorité en 'Gaspésie. Aujourd'hui, ils ne représente plus que 15 pour cent de la population totale. En 1783, Douglastown ne compte
que huit familles, et les premiers résidents ne semblent pas connaître
de véritable stabilité. Nous avons une preuve de ceci si nous scrutons
les registres de 1 année 1800. Cette fois, nous trouvons encore les noms
de huit familles, et de nouvelles figures apparaissent. -L'élément protestant
reste hésitant et nous voyons surgir des foyers catholiques. De façon
générale, les Loyalistes ne se mêleront pas aux groupes français de la
région. La langue et la religion vont édifier des barrières et, dans les
groupements à majorité anglaise, nous verrons les habitants d'origine
française s'angliciser assez rapidement. La population de Gaspé et des
environs est demeurée assez fidèle, depuis ses origines, à la langue anglaise,
même si les Canadiens français pénètrent plus facilement dans ces milieux.
surtout depuis une vingtaine d'années. - William Kennedy, natif d'Irlande,
époux de Catherine Butler; Nous trouvons ces détails dans un index compilé par Mgr F.-X. Bossé, curé de e les Douglastown en 1881. De ces familles pionnières subsistent encor noms connus des Kennedy, Briand, Walsh, Ellement, Rooney et Morris. Dans ce petit noyau catholique en voie de formation, les missionnaires seront les hôtes de William Kennedy. En plus de loger dans sa maison, ils célèbrent sur place les saints mystères de la religion. En 1790, l'abbé Mathurin Bourg, missionnaire résidant à Carleton, visitera la mission. Cette situation durera jusqu'en 1800, année où on décida de construire une chapelle sur le banc de sable, face au village actuel, à l'endroit même où habitent aujourd'hui une douzaine de familles de langue française. Le peuple contribua en matériaux de construction et l'on éleva une petite chapelle de 20 pieds par 16, proportionnée en hauteur et dédiée aux Douze Apôtres. Le premier mariage béni par un prêtre à Douglastown fut celui de Thomas Walsh et de Mary Kennedy; le missionnaire étant l'abbé Louis-joseph Desjardins. Mgr Plessis, Évêque de Québec,
fut le premier prélat à fouler le sol de Douglastown en 181 1. Écoutons
le pasteur nous raconter lui-même ses impressions de cette petite colonie. La chapelle bénite par Mgr Plessis lors de cette visite n'avait pas de cloche. Un hasard ou plutôt un naufrage, comme la chose se produisait souvent à J'époque, apporta une solution. Une frégate, le "Pénélope", se brisa sur, la grève de Petite-Vallée en 1815, et l'abbé Demers, missionnaire sur la côte, en profita pour recueillir la cloche sur le rivage et l'installa sur la chapelle. Quand l'évêque de Québec visita Douglastown pour la seconde fois en 1819, on comptait alors 26 familles. C'est à cette occasion que Mgr Plessis reçut J'abjuration de Daniel 'Scott, protestant écossais, qui avait épousé Elizabeth LeRhea. Scott se trouvait sur la "Pénélope" et la présence de ce poste anglais avait probablement attiré son attention de ce côté. L'évêque, jugeant la chapelle trop petite pour subvenir aux besoins d'une population en accroissement, décida qu'une autre chapelle un peu plus grande devrait être construite sans tarder. En 1822, l'abbé Aubry, missionnaire stationné à Percé, et responsable de la mission de Douglastown, écrivit à la population, insistant sur l'urgence de mettre les avis de l'évêque en pratique. Une petite église de 40 pieds par 30 remplaça la chapelle, et le site fut déplacé. On délaissa la grève et le lieu du nouveau temple se trouvait aux environs de l'église actuelle. Détail assez pittoresque:
les bancs furent vendus à vie à leurs propriétaires et cette vente rapporta
la somme de $210.00. Plus tard, en 1836, Mgr Turgeon en visite pastorale
trouva cette situation anormale, surtout en présence des coffres vides
de la fabrique. Il fut décidé que: L'abbé J. B. A. Ferland, historien, accompagnait Mgr Turgeon au cours de cette visite pastorale. Il a laissé un intéressant récit: journal d'un voyage sur les côtes de la Gaspésie, paru dans les Soirées Canadiennes en 1861. je me permets de citer quelques observations: "Au sommet du coteau apparaît le clocher de la petite chapelle, dont le corps est caché par un bouquet de sapins. En débarquant nous dirigeons nos pas de ce côté, au milieu de monticules de morue et aux cris de joie des honnêtes citoyens de Douglastown. Sous le rapport moral, 'cette mission est une des meilleures du district de Gaspé. La population est polie, intelligente et religieuse; elle présente une physionomie sociale qu'on ne rencontre point dans les postes environnants. Cette différence marquée doit être regardée comme un des effets de l'instruction, qui est généralement répandue parmi les habitants de Douglastown; depuis un grand nombre d'années, en effet, ils ont tenu à honneur d'avoir parmi eux un bon maître d'école."
En Gaspésie, lors de naufrages par exemple, il est arrivé que des groupes d'Irlandais se sont joints à des milieux de langue française, mais avec les années, ils ont tous fini par parler le français. A Douglastown, ce fut tout le contraire. En 1831, un navire transportant 230 catholiques qui fuyaient l'Irlande fit naufrage à Cap des Rosiers, et seulement 30 survivants purent gagner la côte, grâce à un câble reliant le bateau à un arbre. Les Holland, Hipson et McDonald vinrent s'ajouter à leurs frères irlandais de Douglastown. On peut constater en parcourant les registres les alliances entre Irlandais et Canadiens français. Ces derniers, en minorité, élevaient leurs enfants dans la langue de la mère. On peut vérifier ce fait dans les cas suivants: Bolduc, Bourgouin, Briand, Devouge, Fortin, Girard, Kirouac, Langlois, Languedoc, Lehre, Morin, Rail, -Rehel, Simonneau, Smith, etc.; autant d'exemples types où les descendants ne parlent aujourd'hui que l'unique langue anglaise, excepté pour les Briand dont un certain nombre ont conservé la langue française, et un autre groupe prononcent leur nom à l'anglaisé et ne parlent que cette langue. En 1841, les rapports de la mission donnent 50 familles pour Douglastown, et la population demande un curé résident, surtout depuis la construction d'un presbytère. De fait, en 1845, l'abbé M. Dowlinq devient le premier curé et les registres de la paroisse s'ouvrent la même année. je passe sous -silence les trois églises qui seront construites par la suite et détruites par le feu. C'est en 1855, le 17 mars, lors de la bénédiction d'une nouvelle église, que Saint Patrick détrônera les Douze Apôtres et sera invité à veiller sur cette paroisse irlandaise. Le curé de Douglastown, à
partir de 1845, doit desservir les postes de la côte, jusqu'à Mont-Louis;
une distance de cent milles à parcourir, sans chemin praticable pour les
voitures, excepté un chemin de deux lieues entre Gaspé et Douglastown.
Il n'est pas surprenant de lire, en 1852, dans le rapport de la mission
de la Madeleine, les lignes suivantes:
"La population de Douglastown est mélangée; elle se compose de quelques Irlandais, de descendants d'irlandais, de Canadiens, de Jersiais, mais que l'élément irlandais y domine. Il y a cinq familles canadiennes anglifiées et quatre familles protestantes. Quoique la plupart comprennent encore le français, cependant l'usage de prêcher en anglais a prévalu. La nouvelle génération ne comprend que cette dernière langue et, avec la vieille génération, s'éteindront les restes de la langue française." Prédiction sombre, mais facilement compréhensible pour l'époque. Dans son ouvrage COLONISATION AU BAS-CANADA, 1851-1861, Stanislas Drapeau relève une population de 988 âmes pour Douglastown, dont 41 personnes appartiennent à l'origine canadienne-française. Et M. Drapeau ajoute un détail intéressant que je n'ai pu malheureusement contrôler: "Il existe à Douglastown une Institution littéraire ou salle publique de lecture dans laquelle se trouvent les principaux journaux des diverses provinces anglaises." Douglastown comptait donc, il y a cent ans, une population assez stable et l'on était en droit d'espérer aujourd'hui une paroisse de quelques milliers d'âmes. Tous les calculs furent renversés puisque le recensement de septembre 1967 ne donne que 905 âmes, pour l'élément catholique, bien entendu. Situation facile à expliquer quand on songe aux centaines d'Irlandais qui ont quitté la paroisse pour gagner leur vie ailleurs. On peut les retracer dans les villes de Montréal, Toronto, Galt, Oshawa. etc. En 1936, Douglastown comptait une population catholique de 1199 âmes. Depuis les trente dernières années, on peut enregistrer 841 baptêmes et 393 sépultures. Donc un accroissement de 448. Et d'un autre côté, nous constatons une baisse de 300 âmes, ce qui représente en tout un déficit de 748 personnes. Situation assez alarmante, semble-t-il. Mais ici, on peut voir que le rêve de Douglas est en train de disparaître complètement: la colonie loyaliste s'est évanouie. L'abbé Ferland, en 1861, doutait de la survivance du français dans la paroisse, de même que l'abbé Sasseville, à la même époque. En terminant la visite paroissiale, Douglastown renverse les prédictions les plus pessimistes, car nous avons aujourd'hui 30 familles de langue française avec une population de 188 âmes. De plus, 7 chefs de famille sont canadiens-français, même si les enfants ignorent la langue. |
En conclusion, les qualités et les vertus irlandaises ne semblent pas en voie de disparition. C'est très heureux. - Irish and Catholics Voilà les caractéristiques. Tout le charme et le secret de la continuité catholique à Douglastown, il faut les trouver dans l'attachement au passé et dans le respect des valeurs qui sont immortelles. |